L’autre ligue des champions
- Antoine Grenapin
- 8 mai
- 3 min de lecture
LA DIX-HUITIÈME NUIT. La bataille qui se déroule à moins de 200 milles de Saint-Barthélemy est inédite et déjà historique. Vendredi sur la ligne d’arrivée, les 18 premiers pourraient arriver en moins de trois heures ! Désormais, les routages, la météo, les classements apportent peu d’enseignements : il faut se donner sans compter, profiter de chaque accélération de vent et résister à tout pour s’offrir les honneurs de cet incroyable match iodé.

C’est l’histoire d’un vertige. Celui des douceurs d’une île qui fait rêver, Saint Barthélemy, de sa quiétude et de son rythme si loin des tourments du monde. Celui de femmes et d’hommes qui bataillent sur des bateaux de 9,75 mètres de long lancés depuis 17 jours pour s’y rendre, pour y goûter aussi et pour s’y offrir un petit morceau de bravoure. Afin d’y parvenir, chaque heure est gonflée d’un peu plus d’incertitude. L’actualisation des classements, les nuages, le vent qui forcit soudainement puis se calme instantanément : cela fait bien longtemps qu’ils n’ont plus aucune certitude.
« Tous engagés dans un travail de gagne-petit »
Dans près de 24 heures, l’issue de la 17e édition de la Transat Paprec sera connue. Et d’ici là, rien ne sera figé, tout peut basculer. Ils sont 16 bateaux à se tenir en moins de 60 milles par rapport à la distance au but. Le tout, en étant aligné sur 60 milles en latéral du Nord au Sud et à s’accrocher à l’espoir de faire basculer le destin.
D'après les routages, les 18 premiers pourraient tous se succéder sur la ligne d’arrivée en l’espace de trois heures ! C’est commun à l’issue d’une étape de la Solitaire de Figaro Paprec. Ce sera forcément inédit à la Transat Paprec après avoir traversé l’Atlantique et résisté à toutes ses turpitudes. « Maintenant, ils sont tous engagés dans un travail de gagne-petit, décrypte Francis Le Goff, le directeur de course. Tous essaient de converger vers le dernier bord en essayant d’être opportuniste, d’avoir une stratégie à très court terme. D’un fichier à l’autre, il y a un travail d’observation à faire sur les nuages, la pression…»
« Une histoire à perdre le Nord »
Écouter les confidences des skippers ces dernières heures ne permet pas d’être plus avancé. Romain Bouillard le dit à sa manière, non sans humour : « au début on était au Nord, ensuite on a glissé au Sud du Nord, puis on s’est remis au Nord du Sud… Ce n’est pas une histoire à perdre le Nord ? » Et il ajoute : « il nous reste un Paris-Brest à parcourir, un petit gâteau ça se mange vite ! » « Ça va vraiment être hyper serré l’arrivée, estime Anaëlle Pattusch (Humains en action). On va arriver tous ensemble ! » « Rien n’est joué, on est encore dans la course », assure de son côté Davy Beaudart (Hellowork).
Dans la dernière ligne droite, tout comptera et ceux qui doivent composer avec des spis endommagés le savent. Lola Billy et Corentin Horeau (Région Bretagne CMB Océane) en ont confectionné un avec les deux qui étaient déchirés. Pier-Paolo Dean et Tiphaine Rideau (Les Banques Alimentaires) eux, ont endommagé à nouveau leur deuxième spi hier. « C’est un bord tout droit où on est censé utiliser cette voile », regrette Tiphaine.
« L'une des grande question pour toute la flotte, c’est de savoir quelles voiles d’avant ils peuvent encore utiliser et s’ils ont toutes les armes pour évoluer dans le petit temps », précise Francis Le Goff. Et puis il y a toujours ces satanées sargasses. Thomas André (Cap St Barth) est dépité face à « ce continent à traverser » alors qu’Aglaé Ribon (Almond for Pure Ocean) propose « un tuto » pour les enlever de la quille. Heureusement, le plaisir est décuplé dès qu’un grain permet de regagner en vitesse. C’est ce qu’on vécut Ellie Driver et Oliver Hill (Women's Engineering Society). « On est en train de voler », s’amuse Ellie Driver (Solan Ocean Racing) qui conclut, ciré vissé sur la tête et avec une pointe d’humour : « et en plus on a un temps magnifique ! »