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Karine Fauconnier, à jamais la première

Dans environ trois semaines, elle ne sera plus la seule navigatrice à figurer au palmarès de la Transat Paprec. Pourtant, Karine Fauconnier reste l’unique femme à l’avoir emporté, en 2000, aux côtés de Lionel Lemonchois. La navigatrice se souvient de sa motivation d’alors, de son envie de tout donner, de leur complémentarité et des joies de l’arrivée. Désormais, elle met ses compétences en matière de technique et de stratégie au service de projets en course au large et en régate. La navigatrice a pris le temps de raviver sa mémoire afin de nous faire revivre ce moment à part dans sa carrière.  

Dans quel état d’esprit étais-tu avant d’aborder la course, en 2000 ? 

Cela faisait trois ans que je faisais du Figaro. Cette année-là, j’avais enfin le budget adéquat pour faire les choses bien. Sergio Tacchini était mon nouveau sponsor. C’était la première course avec eux. Ils voulaient que l’on fasse un projet en trimaran et j’avais à cœur de montrer qu’ils avaient eu raison de me faire confiance. 

Pourquoi avoir fait appel à Lionel Lemonchois ? 

Je l’ai appelé parce que je pensais qu’on pouvait gagner ensemble. C’était vraiment mon objectif. Quand on a eu connaissance des concurrents qui y participaient, même si le plateau était très prestigieux, j’ai dit à Lionel que personne n’était imbattable. Et il m’a répondu : « de toutes façons, je sais que tu as décidé de gagner donc on va gagner. On devrait dire aux autres de ne pas partir ! » 

Vous étiez confiante avant de vous élancer ? 

Oui, car j’avais l’expérience acquise précédemment. J’étais davantage issue du large que de la régate pure et le format de la course me plaisait bien. J’étais une bonne élève, je n’avais rien laissé au hasard pendant notre préparation. Le budget que j’avais me permettait d’avoir les mêmes moyens que les autres. Et puis j’étais très motivée : j’ai habité à Saint-Barth’, grandi dans les Antilles et j’avais envie de gagner pour tous les copains qui m’attendaient là-bas.

Pourtant, lors de la course, rien n’a été facile… 

Oui, malgré les moments magiques, il y a eu des coups durs. On a eu un golfe de Gascogne assez tempétueux avec entre 20 et 60 nœuds de vent jusqu’à la latitude de Lisbonne. On a dû monter à trois reprises en tête de mât parce qu’on avait cassé les drisses. La première étape avait été assez casse-bateaux. À l’inverse, la deuxième avait été très lente. On cherchait le vent et on avait dû progresser dans du petit temps. 

Quels souvenirs gardez-vous de l’arrivée ? 

On a franchi la ligne de nuit, dans des conditions géniales. Avec tous mes amis qui étaient présents, l’accueil avait été exceptionnel. Il y avait beaucoup de joie mais aussi un grand soulagement parce que jusqu’au bout, j’avais tenu à anticiper les soucis que l’on pourrait avoir. Dès le passage de la ligne, on se relâche et on savoure !

Comment qualifiez-vous votre complémentarité avec Lionel durant la course ? 

Lionel est un skipper assez taiseux. À bord, on ne parlait pas beaucoup hormis pour évoquer les réglages, les empannages… On avait vraiment l’impression d’être deux solitaires qui se passaient la barre à tour de rôle. À l’arrivée, alors que Lionel répondait aux interviews, je l’avais trouvé assez bavard finalement. Et puis j’ai appris un mot : il disait qu’on ne pouvait pas ne pas gagner grâce à notre pugnacité. J’en ai appris le sens et il avait raison, on a été très pugnace. 

Qu’avez-vous ressenti à l’idée d’être la première femme à vous imposer dans cette course ? 

C’est finalement plus une vision d’homme de penser que ça change quelque chose d’être une femme. En mer, on est marin avant tout. La seule différence, c’est qu’il fallait que l’on trouve notre propre budget si on voulait embarquer. Mais je trouve qu’il y a une richesse dans la mixité : les hommes ont à apprendre des femmes, les femmes ont à apprendre des hommes dans la manière de naviguer, de se comporter, de faire les choix stratégiques… Le double mixte offre une complémentarité qui est très intéressante.  

Que pensez-vous de la règle de la mixité qui a été instituée pour cette édition de la Transat Paprec ? 

Cela me convient bien même si ça devrait se faire naturellement. Tant que ce n’est pas naturel, la règle est intéressante. Dans l’inconscient, il y a toujours l’idée qu’une femme est moins forte, moins compétente, moins bricoleuse, moins polyvalente… Et puis j’ai aussi vu des marins qui refusaient d’embarquer des femmes par peur de la réaction de leurs femmes ! C’est important de casser ces clichés, de contredire ces raisons « bidons » et de susciter une vraie dynamique. Il faut que cela contribue à ce qu’on ne soit pas sexualisé. Sur un bateau, on a un ciré, on est à la barre pendant 12 heures… Une nouvelle fois, on est juste des marins.

Quels conseils donneriez-vous aux skippers qui vont s’élancer dimanche ?

Ils doivent prendre du plaisir et en trouver dans le fait de naviguer ensemble. Ce qui est génial en double, c’est de s’occuper seul de son bateau quand l’autre se repose mais aussi de mettre en commun les décisions liées à la stratégie et à la météo. À deux à bord, on est plus intelligent. Cette osmose, cette complicité et ce dialogue sont vraiment enrichissants.